Hajar Ouahbi est Different Leader depuis maintenant un an. Il y a quelques mois, nous publions sur notre blog une interview avec elle sur son engagement en faveur de la justice climatique et sociale. Pour la première fois, elle a organisé l’été dernier un festival pluridisciplinaire à la Maison de la Conversation à Paris. “Artschives” c’est le nom de son projet. L’occasion de nous rappeler que l’engagement passe par la création et la célébration artistiques.

 

Salut Hajar, est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est “Artschives” ?

ARTSCHIVES est un rendez-vous annuel pour célébrer les différentes formes d’expressions et les productions culturelles des diasporas et leurs descendant.e.s. Le but final de ces rencontres, ouvertes au public, est d’engager une discussion autour du patrimoine français et de notre place dans celui-ci. 

Ceux qui ne se reconnaissent pas dans le patrimoine national en sont exclus”. C’est une célèbre citation de Stuart Hall qui m’a marquée et que j’ai intégrée dans le manifeste. C’est de ce constat que je suis partie pour réaliser ce festival pluridisciplinaire.

 

Qu’est-ce qui t’a amené à réaliser ce festival ?

À vrai dire, ça a commencé par un déclic. 

 

C’était en 2018. J’avais fait deux ans de classe préparatoire littéraire. J’ai beaucoup apprécié ma scolarité en classe prépa, mais il y avait aussi des choses qui m’avaient mise mal à l’aise. Je me suis rendu compte après coup, qu’il existait une forme de violence symbolique. Par exemple, un de mes professeurs m’avait déconseillé de citer certains philosophes (en l’occurrence arabes), ou encore je n’avais pas le droit de me référer à ma culture populaire dans mes copies d’histoire et de littérature alors que c’étaient mes références personnelles. Cela s’expliquait sociologiquement et j’ai pu prendre conscience de l’existence d’une culture dite “légitime” : les références qui étaient communément acceptées n’étaient pas innées pour moi. J’ai dû rattraper “mon retard” par rapport à tout le monde en l’espace d’un été. C’était un peu compliqué. 

 

En effet, j’ai été la première de toute ma famille à faire des études, j’ai aussi été la première à constituer une bibliothèque à la maison. Pour anecdote, c’était une toute petite bibliothèque qu’on était allé récupérer dans un Emmaüs. 

C’est en corrigeant une copie que j’ai découvert un jour le rappeur anglais Loyle Carner. Il avait une double culture anglaise et guyanaise que l’on retrouvait dans son style musical. J’ai trouvé ce mélange d’influences particulièrement intéressant. Je me suis demandée alors pourquoi lorsque je voulais produire du “savoir binational” on me répondait que ça n’était pas légitime, alors qu’un artiste tel que Loyle Carner pouvait réussir sa carrière grâce à son héritage culturel. 

 

C’est alors que j’ai eu ce déclic. 

“Et si j’organisais un festival qui célèbre les productions culturelles des diasporas ?”

Je voulais montrer que l’on peut réussir dans un milieu artistique et que nos origines en sont un atout. Je voulais réunir des artistes qui réalisent des projets qui font avancer les mentalités et qui questionnent la place donnée aux personnes issues de la diaspora dans le patrimoine national.

 

Je me suis demandée comment transformer ce rêve en réalité. Je me suis tout d’abord tournée vers des structures à Nantes, ma ville natale. Mais j’ai dû déménager à Paris pour continuer mes études et je me suis dit que ce n’était pas le moment de me lancer dans un projet entrepreneurial. 

Pourtant, l’idée de ce projet était restée en moi et j’assistais à plein de conférences et d’événements où je prenais des notes et j’essayais de me constituer un réseau. Les personnes que j’ai rencontrées semblaient intéressées par ce projet et ça m’a encouragé à le poursuivre. 

En effet, après la crise sanitaire, je suis partie en année de césure et j’ai réalisé d’autres projets entre-temps. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que je devais réaliser ce festival avant d’entrer dans le monde du travail. C’est pour cette raison que j’ai organisé cet événement durant mon avant dernière-année de master. 

 

Lors de ton festival des intervenantes telles qu’Emilie Mendy, journaliste chez Arte et Radio France ou encore la cuisinière et auto-entrepreneuse Clarence Kopogo étaient présentes. Comment les as-tu choisies ?

J’ai croisé la majorité des intervenant.e.s dans des conférences. J’ai tout de suite échangé et pris leur contact. Je les ai re-contacté.e.s par la suite. 

J’en ai trouvé certain.e.s sur Instagram que j’ai contacté et leur ai proposé de participer à l’événement. D’autres étaient des connaissances de connaissances.

 

Vu le nombre de participants et la qualité des intervenant.e.s, ton festival semblait être une réussite. Pour toi, quel a été le challenge le plus important dans la réalisation d’Artschives ?

C’était de croire en moi. 

L’aspect logistique ne m’a pas fait peur. Je n’ai pas eu de problème pour trouver du matériel et une salle. Par exemple, quand j’en ai eu besoin, je me suis débrouillée pour trouver dans mon entourage quelqu’un qui puisse nous prêter sa voiture sans frais. J’ai pu compter sur un membre du collectif et j’en suis fière. 

Pour moi, le défi ce n’est pas de réussir parfaitement son événement, mais de croire en soi et de se faire confiance. C’est la première fois de ma vie que j’organise un événement de telle ampleur. 

En effet, tout au long de l’organisation du festival, j’avais peur que personne ne vienne ou que personne n’apprécie vraiment l’événement.

Mais ce festival tu l’as fait toute seule ou en partenariat avec une association ?

 

C’est moi qui ai tout organisé. J’ai contacté les gens et trouvé la salle, etc. C’était beaucoup de travail et j’ai eu la chance d’avoir des amies qui m’ont soutenue. Elles m’ont proposé leur aide et on a travaillé ensemble sur ce projet pendant deux mois. C’est grâce à elles que j’ai pu réaliser ce projet complètement, car je suis quelqu’un qui aime prendre des initiatives, mais j’ai aussi besoin de personnes qui me redonnent confiance en moi pour que je puisse aller au bout de mes projets. 

 

J’ai eu la chance d’être aidée par plusieurs membres du collectif envers qui je suis très reconnaissante : Assya Hamdani qui a modéré une des tables rondes, Léo Nebel qui a mixé pour la partie concert et Naimia Saidina qui contribué à la logistique.

En dernier mot, que veux-tu que les gens retiennent de ton festival ?

Je ne veux pas que le public se sente seul. 

La question sous-jacente du festival, c’est de dire : en tant que diaspora, ce que nous produisons peut-il être considéré comme de l’art ? Est-ce que cela fait partie du patrimoine français ? 

Par exemple, l’artiste exposée Lucenda a des inspirations franco-surinamiennes, hip-hop, streetwear dans ses créations de mode. Est-ce que son art peut être considéré comme de l’art “français” ou est-ce qu’il va être considéré comme de l’art ethnique ? 

 

J’aimerais que les gens se rendent compte qu’aujourd’hui la culture française n’a pas une identité figée, mais est imprégnée de différences et a de multiples facettes.


Propos recueillis par Laureline Latour.

Photos : © Manuela Kasyc