Les 12 et 19 juin prochains auront lieu les élections législatives. Lumir Lapray, membre du collectif Different Leaders depuis 2017 se présente dans la deuxième circonscription de l’Ain. Dans cette interview, elle revient sur son parcours, son engagement et la manière dont elle a décidé de mener sa campagne.
Salut Lumir, est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ?
J’ai 29 ans et je suis Different Leader depuis 2017. J’ai grandi dans un hameau de 200 personnes dans l’Ain. J’ai obtenu un BAC littéraire à Lyon puis intégré Sciences Po Lyon. J’ai eu la chance de partir aux Etats-Unis pour faire de la sociologie et c’est là que j’ai expérimenté l’engagement professionnel ! À Los Angeles, j’ai intégré le plus grand mouvement syndical de l’époque aux Etats-Unis : Fight for fifteen, dont le but était d’augmenter le SMIC à 15 dollars de l’heure. Puis j’ai été assistante parlementaire d’un député démocrate à Washington. C’était l’une de mes premières expériences militantes significatives.
Pendant cette période, j’ai beaucoup travaillé avec des syndicats, notamment concernant l’accès au vote et à la santé des gens qui habitent en milieu rural. J’ai par exemple imaginé une proposition de loi pour mettre en place des bureaux de vote mouvants.
Comment s’est organisée la campagne Fight for fifteen ? Comment as-tu apporté ta pierre à l’édifice ?
La campagne a commencé en septembre 2014. Fight for fifteen regroupait de grands syndicats, de petits syndicats, des associations religieuses… L’objectif du combat était très simple et concret : augmenter le SMIC à 15 dollars de l’heure. Avoir un objectif très défini comme celui-ci, a permis à de nombreux acteurs différents (syndicats, associations, comités de quartier…) de s’allier car il leur suffisait d’avoir un dénominateur commun. On avait un seul objectif très concret à atteindre et une fois la campagne terminée, une nouvelle coalition avec de nouveaux membres portant sur un autre sujet a été mise en place. On faisait énormément de terrain et c’est là que j’ai découvert le community organizing. J’ai eu la chance de rester assez longtemps aux Etats-Unis pour assister à la victoire de la coalition.
Est-ce qu’il y a un événement particulier qui t’a poussé à t’engager en politique ?
J’ai beaucoup apprécié mes expériences d’engagement, notamment aux Etats-Unis, et c’était surtout le fait d’agir sur le terrain qui m’a plu. Quand le premier confinement est arrivé, ça a été un moment d’introspection et j’ai pris conscience que si je voulais avoir des enfants, il fallait que j’agisse vite pour changer le monde dans lequel ils grandiront. Un autre élément déclencheur, ça a été le bouleversement qui a touché le monde entier pendant la crise sanitaire. On dit souvent que la politique ça ne sert à rien et que ça ne permet pas de changer réellement les choses. Pourtant, en quelques jours à peine, la majorité des gouvernements ont instauré des transformations radicales.
Je me suis alors rendue compte que la politique pouvait être très efficace. J’ai donc décidé de rentrer là où j’ai grandi et de me présenter aux législatives. Mon objectif est de montrer que la France périurbaine peut être progressiste si on sait lui parler.
Et du coup concrètement, comment on s’engage en politique ?
On a décidé de ne pas créer un nouveau parti car c’est trop compliqué et surtout on serait invisible en comparaison de ceux qui existent déjà. Nous sommes donc une équipe de 8 à temps plein : un directeur de campagne, une directrice de mobilisation, un assistant de campagne, un mandataire financier, une personne qui gère la communication et deux stagiaires. En plus de notre équipe de 8 personnes, nous avons beaucoup de bénévoles car on mise tout sur le terrain, on s’inspire des méthodes électorales américaines notamment en faisant du porte-à-porte tous les jours. Le but c’est de faire de la politique en respectant nos valeurs en allant réellement au contact des gens, en se remettant en question. C’est l’un des ingrédients essentiels du community organizing : échanger régulièrement avec sa base. C’est-à-dire prendre des nouvelles des personnes qu’on mobilise, ne pas hésiter à leur demander des feedbacks, rester à l’écoute afin de renforcer les relations entre les individus et d’assurer une bonne cohésion.
Comment ça se passe le porte-à-porte ?
Quand les gens nous ouvrent la porte, on se présente et la première question que l’on pose c’est “si vous aviez une baguette magique et que vous étiez président, quelle serait la première chose que vous feriez ?”. Ça permet d’une part de ne pas perdre de temps avec les personnes qui ont des idées totalement opposées aux nôtres mais surtout de leur faire prendre conscience qu’elles peuvent avoir des idées, que leur avis compte et qu’elles aussi peuvent penser à des solutions. Un de nos principaux objectifs c’est également de lutter contre l’abstention en expliquant aux gens qu’il faut y croire, que leur voix compte vraiment. En général les gens sont contents car on leur demande ce qui les intéresse et ce qu’ils aimeraient changer…
En fait, on leur demande réellement leur avis et ça leur fait plaisir.
Comment vous organisez-vous entre vous pour travailler sur ta campagne ?
Pour s’organiser on a une application pour classifier les zones prioritaires, en l’occurrence celles qui ont un fort taux d’abstention et qui sont donc à cibler pour faire du porte-à-porte. Après avoir parlé avec les gens, on peut ajouter des commentaires sur l’application pour faire un retour sur la manière dont ça s’est passé. Cela débouche sur 3 possibilités :
Première option : Cette personne n’a pas les mêmes idées que nous et donc on n’a plus rien à se dire.
Deuxième option : Cette personne va voter pour nous, c’est sûr, et dans ce cas-là on peut lui proposer de devenir bénévole ou au moins lui donner des conseils pour en parler autour d’elle.
Troisième option : Cette personne ne sait pas si elle va voter. On retourne alors la voir toutes les deux semaines pour voir où elle en est et on essaie de la convaincre de voter.
Comment se déroule une semaine type ?
En semaine, le matin, on va discuter avec les gens dans le train ou à l’entrée de l’école. Ensuite on se retrouve au QG pour prendre un café, faire le point et faire du travail de fond de 9h à 11h. Puis on fait une sortie d’école ou un marché.
L’après-midi on est au bureau, on contacte les bénévoles pour savoir comment ça se passe pour eux ou on sort coller des affiches. On fait une nouvelle sortie d’école à 16h30, puis du porte-à-porte jusqu’à 20 heures.
Le samedi, on fait des “samedis mobilisation” : chaque bénévole vient avec des amis puis on les forme, on fait du porte-à-porte, un tuto collage et de la communication. Oui, on fait beaucoup de porte-à-porte ! (rires).
Comment les bénévoles qui s’engagent font pour t’aider ?
Ils ont plusieurs moyens de s’engager pour cette campagne.
Généralement, les bénévoles en parlent à leur entourage qui habite dans l’Ain pour engager plus de monde. À distance, ils et elles peuvent faire du phoning pour demander aux gens pour qui ils votent et pourquoi, pour donner de la visibilité à la campagne. On cherche actuellement des personnes qui parlent arabe et turc car ce sont des langues très parlées dans la circonscription. Celles et ceux qui n’ont pas le temps et qui souhaitent quand même nous soutenir peuvent faire un don.
Une autre manière de s’engager c’est de venir directement sur le terrain !
Certains bénévoles n’ont jamais fait de politique et viennent voir par curiosité comment s’organise une campagne et par la même occasion, vont au contact des citoyens avec nous. On peut même les loger et les nourrir s’ils souhaitent rester le temps d’un week-end, c’est ce qu’il s’est passé ces dernières semaines.
Interview de Lumir Lapray par Eloïse Monnier.