Du 31 octobre au 12 novembre 2021 se tenait la COP 26 à Glasgow (Écosse). Hajar Ouahbi, membre du collectif Different Leaders depuis septembre 2021, y était pendant une semaine. Elle a accepté de revenir pour nous sur les origines de son engagement en faveur de l’environnement et sur son expérience en tant que représentante de la société civile à la COP 26.

 

Pourrais-tu te présenter ?

Je m’appelle Hajar, j’ai 22 ans. Je suis née en Italie. Mes parents ont déménagé en France en 2010 et on s’est installés à Ancenis, près de Nantes. Je suis arrivée à Paris il y a 3 ans pour mes études. Je suis en Master 1 de Développement à l’Institut des Études de Développement à la Sorbonne. J’étudie le processus par lequel les États passent pour atteindre des objectifs de développement humain. Je me spécialise aussi en études post-coloniales. 

 

Au départ, j’ignorais qu’il y avait un Pôle Écologie chez les Different Leaders. Je l’ai appris lors du week-end d’intégration et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai rejoint le collectif parce que j’ai beaucoup cotoyé des milieux associatifs et militants mais je trouvais que les deux avaient des lacunes. En voyant ce que faisaient les Different Leaders, leur ADN et leurs valeurs, j’ai trouvé qu’on était entre militantisme et influence sur les politiques publiques, ce qui me correspondait finalement donc je les ai rejoints en septembre 2021. En ce qui concerne le Pôle Écologie populaire, ça a été une évidence pour moi.

 

Mon engagement pour l’environnement a commencé lorsque je me suis lancée dans les études supérieures, en 2017. Depuis, j’ai eu quelques désillusions mais mon arrivée à Paris a vraiment marqué un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte qu’on pouvait intégrer les questions écologiques aux classes populaires, qu’elles n’étaient pas exclues de ces problématiques. Je viens moi-même d’un milieu populaire. Mon père est ouvrier, ma mère est femme au foyer. Chez nous, l’écologie, on n’en parle pas. Ce n’est pas du tout une préoccupation. C’est pourquoi ça me tient tant à cœur d’agir pour l’écologie populaire, et non pas seulement pour l’écologie.

 

Comment agis-tu en faveur de la planète au quotidien ? Comment parviens-tu à concilier ça avec tes études ?

Au quotidien, je dirais que j’agis à différentes échelles.

Dans un premier temps, cela passe par l’alimentation. Je suis végétarienne depuis 2017. Depuis mon retour de la COP 26, je me tourne tout doucement vers le véganisme.

J’essaie d’adopter des gestes “éco-citoyens” aussi. Même si je mets des guillemets parce que je trouve qu’on peut être écolo sans cela. En effet, je pars du principe que c’est un privilège et une charge mentale que certains et certaines ne peuvent pas se permettre. Moi, j’estime avoir le luxe de pouvoir le faire. Je vis seule, je suis étudiante, je n’ai ni enfants ni compagnon. Je peux donc vivre comme je le souhaite. 

 

Je fais énormément attention à ce que j’achète, même si je n’ai pas toujours les moyens de me procurer du bio (bio ne voulant d’ailleurs pas forcément dire écolo). J’achète très peu de nourriture transformée. Je privilégie les aliments crus ou bruts, que je travaille ensuite. J’essaie aussi d’éviter le plastique au maximum.

 

Ma deuxième échelle d’action, c’est la sensibilisation. Je fais en sorte de me renseigner sur toutes les questions techniques liées à l’environnement et à l’écologie, ainsi qu’à leur impact sur les classes populaires. Que ce soit l’énergie, les rejets de produits toxiques, etc. J’essaie d’en parler autour de moi, en particulier dans mon cercle d’amis.

 

Ma troisième et dernière échelle d’action, c’est du lobbying vert. M’engager auprès d’organisations de jeunes qui agissent pour le climat et qui tentent de faire pression sur les politiques. Dès que j’ai des disponibilités dans mon agenda, j’essaie de caler des réunions mais aussi des temps pour m’informer. Je consomme beaucoup d’enquêtes, de podcasts, de livres audio… 

 

J’ai de la chance parce que je fais des études qui ne sont pas complètement étrangères à ces questions-là, dans le sens où je vais facilement pouvoir citer dans une de mes copies ou lors d’une intervention en classe, des références comme “L’invention du colonialisme vert – Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain” de Guillaume Blanc, un super ouvrage que je conseille.

 

Je fais aussi du développement local, ancré dans l’écosystème. L’objectif étant de déterminer comment éviter de dérégler les écosystèmes afin de ne pas impacter les populations qui vivent sur les territoires concernés.

 

Tout à l’heure, tu évoquais des groupes au sein desquels tu t’engages. Pourrais-tu nous en dire plus ?

Je suis membre de YEE (Youth and Environment Europe), un réseau de jeunes engagés à travers l’Europe. On agit beaucoup sur les questions climatiques parce que c’est ce qui, actuellement, préoccupe le plus les politiques publiques et les politiciens. Mais notre sujet, c’est l’environnement de manière générale. L’association se rapproche d’organes politiques qui enclenchent des projets à l’échelle de leurs territoires afin de pouvoir nous intégrer à leurs débats en tant que membres de la société civile.

 

Tu as assisté à la COP 26 à Glasgow (Écosse) avec YEE fin 2021. En quoi consiste cet événement ?

Une COP (Conference of the Parties ou Conférence des Parties) est un organe de décision de la Convention des Nations Unies. Tous les États membres se réunissent au cours d’un grand événement pour discuter des questions traitées dans la Convention, l’élément de synthèse de leurs échanges sur une multitude de questions. Au cours de ce rassemblement, des décisions sont prises dans le but de promouvoir la mise en œuvre effective de la Convention, aux niveaux institutionnels, administratifs, etc.

 

En 2021 a eu lieu la 26ème COP. Chacune d’elle a un peu sa spécificité. La COP 25 a été un échec donc pour la COP 26, l’objectif des États était de tout faire pour mettre en œuvre les accords de Paris, qui avaient été établis lors de la COP 21 en 2015.

Quels étaient tes missions et tes objectifs ?

La COP se déroule sur 2 semaines. Moi, je suis partie du 1er au 7 novembre, la première semaine. On était 5 dans ma délégation. La deuxième semaine, une autre délégation de 5 personnes a fait le voyage.

 

Quand les candidatures ont été lancées par YEE, on nous a demandé de préciser sur quelles questions on souhaitait se mobiliser. Ma spécialité était la justice climatique, l’impact des questions environnementales (climat, énergie, etc.) sur les populations les plus vulnérables (notamment les classes populaires, les femmes et les enfants).

 

Les deux premiers jours étaient dédiés au World Leader Summit (ou Sommet des Leaders Mondiaux). Au cours de celui-ci, différents chefs d’États s’expriment tour à tour. Notre rôle était de prendre des notes afin d’adapter nos recommandations – qui avaient été préparées en amont – à ce qui avait été dit. Les trois derniers jours consistaient en beaucoup de réseautage. Ensuite, une journée entière était dédiée aux énergies. Le dernier jour était centré sur la jeunesse. Notre délégation était présente à toutes les tables rondes pour prendre la parole et pousser nos recommandations.

Tu évoquais la justice climatique comme étant ton sujet principal. En tant que collectif de jeunes, quels constats avez-vous fait ?

 

La justice climatique reste un sujet émergent, même dans des cadres comme la COP 26 où tout le monde est déjà sensibilisé aux questions environnementales. Dans le cadre privé, c’est une tout autre histoire car les gens font encore moins le lien entre justice sociale et justice climatique.

 

Comment présentez-vous cette cause auprès de personnes qui ne seraient pas forcément sensibilisées à cette question ? Aurais-tu des exemples ou des chiffres marquants qui prouvent le lien entre justice climatique et justice sociale ?

 

D’après le rapport “Un climat d’inégalités – Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France” publié par l’association Notre Affaire à Tous en 2020, lors de la canicule qui s’est abattue sur la France à l’été 2003, la Seine-Saint-Denis a connu une surmortalité de +160% due à plusieurs facteurs : logements surpeuplés et mal isolés, manque d’espaces verts, difficultés d’accès à l’eau pour certaines populations, bétonisation à outrance, pollution de l’air, état de santé général dégradé ou encore mauvaise diffusion des informations sur les bonnes pratiques pour se protéger lors des fortes chaleurs.

 

Un autre chiffre que j’ai en tête : d’après une étude publiée par l’INSEE en 2016, les hommes cadres ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes ouvriers. L’écart entre les deux est de 6 ans (dans les conditions de mortalité de 2009-2013). Cela est dû à la pénibilité du travail physique des ouvriers, mais aussi à l’exposition à des produits toxiques qu’ils subissent dans les usines.

 

À l’échelle internationale, la justice climatique impacte encore plus les pays de l’hémisphère Sud. Par exemple, l’Indonésie, contrainte de déplacer sa capitale (Jakarta) à cause de la montée des eaux.

Pour en revenir à la COP 26, selon toi, quelles seraient les solutions pour que la France puisse atteindre les objectifs fixés dans les Accords de Paris à la COP 21 ?

Tout d’abord, arrêter d’augmenter son budget carbone (la marge que le pays s’octroie pour pouvoir polluer), voire le réduire. Ensuite, stopper l’exploitation des énergies non renouvelables (ressources minières et hydrocarbures). Espacer l’exploitation des énergies renouvelables également mais c’est très compliqué car on évolue dans une économie de marché dans laquelle il faut produire en permanence. Une autre solution : renoncer au nucléaire. Aujourd’hui, certains parlent de croissance verte.

 

Qu’est-ce qu’on entend par croissance verte ?

Pour faire simple, il s’agit de promouvoir la croissance économique tout en faisant en sorte que l’environnement soit respecté. On appelle ça le capitalisme vert.

Qu’en penses-tu ?

Cette question fait débat parmi les gens engagés en faveur de l’environnement. Moi, je n’y crois pas car ce qui nous a conduit à cette situation, c’est la course à la croissance. J’envisage donc la croissance verte comme une contradiction mais je souhaite néanmoins rester optimiste là-dessus. Si les États trouvent des solutions pour la rendre effective, alors tant mieux.

 

Quel bilan fais-tu de cette COP 26 ?

J’ai été très déçue mais l’aspect humain de l’événement m’a rassurée. Le fait de voir des tas de jeunes de tous bords politiques et de tous milieux unis autour des questions environnementales. Je ne dis pas que cela efface nos différences, je ne suis pas partisane de cette vision, mais on était au moins d’accord sur le fait qu’il faut agir, et vite. Il y avait énormément de manifestations à l’extérieur de la COP 26. Cela m’a fait beaucoup de bien car j’avais davantage l’impression de pouvoir changer les choses en étant dans la rue qu’à l’intérieur. 

 

Je n’arrive pas à quitter totalement l’institutionnel car c’est là que tout se joue. Néanmoins, je suis touchée par une forme de cynisme optimiste. Je suis réaliste, dans la mesure où je pense que les leaders mondiaux sont tout à fait conscients de ce qu’ils font. Je pense ainsi que l’on doit continuer à marteler notre message jusqu’à ce qu’ils le comprennent.

Aurais-tu des recommandations pour les gens qui aimeraient s’informer sur l’écologie populaire ?

 

Pour commencer, il y a Décolonisons l’écologie – Reportage au coeur des luttes décoloniales & écologistes, un documentaire disponible sur Youtube. Réalisé par trois activistes (Annabelle Aim, Jérémy Boucain et Cannelle Fourdrinier), il est axé sur la situation en Martinique, à l’aune du scandale du chlordécone. Ce pesticide a vu son utilisation autorisée sur l’île (ainsi qu’en Guadeloupe) pendant des années alors qu’elle était interdite en métropole. La colonisation a créé des injustices qui affectent la santé des habitants des territoires d’outre-mer encore aujourd’hui. Ce documentaire est une réalisation indépendante de grande qualité.

 

Je conseille également de voir le film Rouge (réalisé par Farid Bentoumi), avec Zita Hanrot et Sami Bouajila. Tiré d’une histoire vraie, ce drame social parle usine chimique, gestion des déchets et pollution.

 

Le livre-enquête d’Ingrid Kragl, Manger du faux pour de vrai : Les scandales de la fraude alimentaire, nous apprend qu’en France, 1 épice sur 2 est frauduleuse. 43% de nos miels présentent des défauts de composition, de qualité, ou sont faussement étiquetés français. Certains n’ont jamais vu l’ombre d’une ruche tant ils sont “adultérés” (se dit d’aliments remplacés partiellement ou totalement par un autre). Le reportage L’horreur dans nos assiettes : les mafias de la malbouffe (disponible sur YouTube) permet de creuser davantage la question.

 

Enfin, le podcast État d’urgence, disponible sur le site web Le Media, est également une ressource intéressante.

 

À part le scandale du chlordécone, aurais-tu des exemples des effets de la colonisation sur la justice climatique ?

 

Les territoires d’outre-mer, majoritairement insulaires, sont souvent les premiers à subir inondations, glissements de terrain, etc. Or ils ne sont responsables que de moins de 1% des émissions de gaz à effets de serre de la France, ce qui crée une injustice par rapport aux territoires métropolitains. Des chiffres que l’on peut également trouver dans le rapport “Un climat d’inégalités – Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France” publié par l’association Notre Affaire à Tous en 2020.

 

Du fait de leur position géographique, les plus vulnérables, mais aussi les moins responsables des changements climatiques, sont en fait ceux qui les subissent le plus. 

 

Il convient de garder une chose à l’esprit : nous ne sommes pas déconnectés du monde et de l’écosystème, bien au contraire.

Un dernier mot ?

Je vais partir sur un chant qu’on avait tous scandé le dernier jour de la COP 26 : “El pueblo unido jamás será vencido” (traduction : “Le peuple uni ne sera jamais vaincu”). Je pense vraiment que l’union fait la force.

Interview de Hajar Ouahbi par Laïlani Ridjali.

    Photo : ©Maonghe.M