Plus de 10 ans les séparent, mais les difficultés liées au financement de leurs études restent inchangées. Manque d’information, stress et lourdes responsabilités, et surtout ce fameux acompte de 800 euros à verser pour garder sa place dans l’école où l’on est admissible… Wassila Djellal, diplômée en 2016, et Rose Kamgueu Simo, qui vise un diplôme en 2023, ont mis en ligne un questionnaire visant à recenser les difficultés des (ex)étudiant.e.s préparationnaires. Avec d’autres membres du collectif Different Leaders, elles veulent mener un combat contre les frais inutiles qui conditionnent les choix des études aux moyens financiers plutôt qu’aux résultats scolaires.
On fait les présentations ?
Rose Kamgueu Simo : Je suis en Master 1 en école de commerce. J’ai intégré cette école à la suite du concours AST (Admission sur Titre) mais j’ai quand même fait une prépa avant. Et mes difficultés avec le financement de mes études ne sont malheureusement pas nouvelles !
Quand j’étais en prépa, notre prof nous a parlé de l’acompte SIGEM (l’avance de frais de 800 euros pour garder sa place dans l’école où l’on est admis.e, NDLR) six mois avant l’échéance. J’avais donc pu commencer à économiser. Mais comme je n’ai pas réussi à réunir la totalité de la somme, ma mère a dû faire un micro-crédit pour compléter.
Mon classement m’a permis d’intégrer une école à Strasbourg, à laquelle je me suis inscrite. Mais au mois d’août, en voyant les frais à engager s’accumuler, j’ai pris peur. Sans avoir encore obtenu de prêt étudiant, je ne voyais pas comment payer mon hébergement et les frais du quotidien en plus du reste des frais de scolarité. J’ai décidé de me désister.
Et tu as pu récupérer ton acompte ?
Rose : Non ! C’était trop tard : j’avais dépassé la date limite de rétractation. Et l’école a été inflexible : cette somme, qui devait être un acompte pour une école que je n’ai pas intégrée, ne m’a jamais été remboursée.
Aïe, ça a dû être difficile pour toi et ta mère ! Comment tu as fait pour la suite de tes études ?
Rose : J’étais vraiment découragée. J’ai intégré une filière éco-gestion à l’université à la rentrée. Et en fait, ça c’est super bien passé ! En parallèle, je préparais les concours AST qui m’ont permis d’intégrer mon école actuelle. Cette fois-ci, j’étais au courant de l’acompte SIGEM, et j’ai donc pu réunir les 800 euros à temps.
Tu as donc payé cet acompte deux fois ?
Rose : C’est ça. J’ai payé deux fois l’acompte. Une fois pour rien, une fois pour l’école où je suis actuellement.
Et toi Wassila ?
Wassila Louisa Djellal : Je suis consultante et manager en transformation digitale. Avant d’intégrer mon école à l’époque, j’ai fait une prépa “égalité des chances” parrainée par une grande école. C’était super intéressant, mais je n’ai pas eu la “chance” de Rose : j’ai appris l’existence des frais SIGEM au moment où l’on devait payer !
Mise devant le fait accompli, j’ai dû emprunter de l’argent à mon oncle… qui m’avait déjà prêté 1000 euros pour payer mes concours ! Au final, l’acompte SIGEM ce n’était qu’une étape d’un long combat pour trouver les fonds nécessaires pour mes études.
On sait qu’en prépa la charge de travail est importante et le rythme des évaluations est intense, à cela s’ajoute la problématique du financement des études : comment avez-vous vécu ces difficultés ?
R.K.S : Je suis l’aînée de ma famille, j’ai une certaine pression car je dois réussir, je n’ai pas le droit à l’erreur. Je me disais que j’allais m’endetter pendant des années pour mes études, et que j’avais intérêt à trouver le métier qui paye le mieux dans mon domaine après ! Alors j’ai juste avancé. La prépa était une période difficile pour moi, j’ai perdu beaucoup de poids car je travaillais beaucoup sans forcément voir les résultats.
W.L.D : Moi pareil. J’ai relégué mes rêves d’entrepreneuriat, c’était devenu inenvisageable. Je n’avais pas le luxe de me lancer dans une carrière avec du sens non plus. Mais c’est aussi une période pendant laquelle j’ai ressenti une certaine honte : pendant que je voyais des amis trouver des jobs étudiants, passer leur permis de conduire, partir en vacances seuls, bref, s’autonomiser, je devais demander de l’argent à mes parents pour tout, alors qu’ils devaient également payer les frais de scolarité de mon frère jumeau qui passait les mêmes concours… je savais qu’il ne fallait pas rater, et il n’était pas question de m’occuper d’autre chose que d’étudier.
Alors comme Rose, je prenais sur moi, et je me disais qu’il me faudrait un bon métier pour rembourser mes dettes. Mais au moins, j’ai fait le “Tour de France”, j’ai passé les examens oraux dans les écoles où j’étais admissible… certains de mes camarades ont dû faire des choix parce qu’il fallait payer les billets de train et l’hébergement, et les dépenses étaient trop élevées.
Comment est-ce que ces difficultés ont influencé votre expérience d’étudiante, et vos choix ?
W.L.D : En école de commerce, on nous répète constamment qu’il faut “construire” son CV : faire de bons stages et des séjours à l’étranger pour pouvoir “optimiser son employabilité” au maximum à la sortie de l’école. Sans réseau, sans moyens pour ces séjours, je me demandais si j’avais fait le bon choix !
Avec mes amis, on faisait des blagues sur les choix des personnes qui pouvaient se permettre d’intégrer des masters à plus faible employabilité : toutes les personnes qui avaient des difficultés financières intégraient le master “management des systèmes d’information” sans se poser de question ! (rires)
R.K.S : Concrètement, ce sont quand même les difficultés financières qui m’ont fait abandonner mes études à Strasbourg… Heureusement qu’une amie a fini par me parler des concours AST, et que j’ai pu rebondir : ce n’est pas le même rythme, on peut travailler à côté, et donc mettre de l’argent de côté !
Mais bien sûr, quand je suis arrivée en amphi dans mon école avec un ordinateur prêté par une association et que tout le monde autour avait un MacBook, je me suis mise tout au fond pour qu’on ne puisse pas me remarquer… Et quand je découvre tous les voyages que les étudiants ont fait dans leur vie, je me sens en retard… Heureusement que j’avais des jobs d’été pour financer les concours et le Tour de France… c’étaient ça mes voyages, moi !
En terme de carrière, j’ai décidé de rester sur le conseil, qui était mon choix. Mais je suis en année de césure, parce que j’ai perdu mon stage à cause de la crise sanitaire. Je m’accroche. Je compte être diplômée en janvier 2023. Sachant que j’ai obtenu mon bac en 2015… j’ai franchement l’impression d’avoir fait médecine ! (rires)
Quelles solutions pourraient être mises en place afin que d’autres étudiants n’aient pas à vivre la même expérience que vous ?
R.K.S: Déjà, c’est important de parler de l’avance de frais de 800 euros pour s’inscrire en école dès le départ. Mais moi, j’aimerais qu’on en exonère tous les étudiants : c’est une dépense conséquente à un moment où on n’a pas encore tous les éléments pour prendre des décisions définitives ! Comme tout le monde le sait, l’argent c’est le nerf de la guerre, et la crise sanitaire a d’autant plus aggravé la situation des étudiants. Il faut qu’on agisse maintenant pour la rentrée 2021 !
W.L.D : Je suis d’accord. C’est effrayant de voir que 10 ans plus tard, c’est toujours le même problème. Malgré la mise en place de prépas et dispositifs pour l’égalité des chances, c’est notre situation économique, et non nos résultats scolaires, qui conditionne nos choix d’études, et ce n’est pas normal. Je m’inquiète beaucoup de ce que cela peut vouloir dire pour les étudiants préparationnaires de milieux modestes en sortie de crise sanitaire…
Vous aussi, vous avez payé ou devrez payer l’acompte de 800 euros pour vous inscrire en école et vous voulez que ça change ?
- Jusqu’au 31 mai, vous pouvez voter pour notre proposition à la consultation nationale contre les discriminations ici
- Vous pouvez nous partager votre expérience sur ce questionnaire, et nous laisser vos coordonnées si vous souhaitez rejoindre nos efforts pour exonérer les étudiants de l’acompte SIGEM à la rentrée 2021 !
Interview de Wassila Djellal et Rose Kamgueu Simo par Imtinen Abidi.
Photo : ©Maonghe.M