Combien sommes-nous à avoir subi notre orientation scolaire ? Combien sommes-nous à avoir découvert des écoles, des formations, des métiers, ou des dispositifs d’égalité des chances complètement par hasard ? Combien sommes-nous enfin à ne jamais en avoir eu connaissance ?
Aujourd’hui, en France, il faut 6 générations pour sortir de la pauvreté. En France, moins de 11% d’enfants issus de milieux populaires accèdent à l’Université, et moins de 8% en classes préparatoires. En France, l’égalité des chances ne devrait pas tenir au hasard. Et pour nos cadets, nous ne pouvons plus attendre !
C’est l’histoire de Mariam.
A 14 ans, elle subit son orientation scolaire. En classe de troisième elle rêve d’un parcours en droit, d’une brillante carrière d’avocate. Et pourtant, la Conseillère Principale d’Education de son établissement décide de modifier plusieurs fois sa liste de vœux, sans la consulter, pour l’orienter vers un bac professionnel secrétariat. Elle découvre trop tard qu’il existe un système de recours, pour contester une orientation subie au collège. C’est seulement par hasard qu’elle découvrira quelques années plus tard qu’elle peut se réorienter, et qu’elle ira en école de commerce.
C’est aussi l’histoire de Barry.
Au lycée, il rêve d’étudier les matières littéraires, d’intégrer Sciences Po. Il découvre trop tard l’existence d’une classe préparatoire, gratuite et dans sa ville, qui aurait pu lui permettre de réaliser ce rêve. Étudiant en histoire, il se met à rêver de géopolitique, mais perd espoir quand on lui répète que la géopolitique est réservée aux diplômés de l’ENA, que c’est inaccessible avec son parcours. Il découvre trop tard l’existence de l’Institut Français de Géopolitique à l’Université Paris 8, et qu’avec le même parcours que lui, un de ses amis a pu l’intégrer.
L’histoire de Mariam, celle de Barry, ce sont les histoires de dizaines de jeunes du collectif Different Leaders dont je fais partie, de centaines de jeunes autour de nous, et de centaines de milliers de jeunes en France. Et combien n’ont pas réussi à surmonter ces obstacles ?
Conscients que ces injustices sont toujours une réalité, les membres du collectif Different Leaders décident de lancer en 2015 la Journée Mondiale de l’Égalité des Chances visant à accompagner les plus jeunes dans leur réussite académique et professionnelle. Sa date, le 5 décembre, rend hommage à Nelson Mandela : disparu ce jour-là, il s’est battu toute sa vie pour l’émancipation grâce à l’éducation de qualité pour tous et toutes.
Cette journée, moment d’entraide et de partage, qui redonner la confiance en soi et courage, est désormais un rendez-vous annuel qui sera célébré en 2021, pour sa 7ème édition dans 17 pays, et a déjà impliqué plus de 18 000 participants.
En France, c’est plus d’une centaine d’acteurs de terrain et d’associations d’égalité des chances qui s’appuient dessus pour faire connaître leurs dispositifs indispensables d’accompagnement. La journée a compté la participation active de ministres, comme celle de Mmes. Elisabeth Moreno, Nadia Hai ou Nathalie Elimas. Et malgré cela, combien aujourd’hui, en milieu rural comme en quartier populaire, passent toujours à côté de leurs droits et les dispositifs qui leur sont destinés ?
Personne ne devrait comprendre son propre système éducatif à la fin de ses études, et la diversité des parcours ou métiers à sa portée après les avoir terminées.
Personne ne devrait découvrir par hasard l’accès à une bourse, à un dispositif de mentorat.
Et dans un pays où il faut 6 générations pour sortir de la pauvreté, l’accès à ces informations cruciales ne peut pas reposer les seuls efforts de bénévoles.
Nous demandons au Premier Ministre Jean Castex d’instaurer une Journée Nationale de l’Égalité des Chances, portée par la République dans chaque école et lycée, pour que chaque jeune puisse connaître ses droits en matière d’orientation scolaire, les parcours, les métiers, les dispositifs d’égalité des chances existants, ainsi que les associations qui peuvent les accompagner.
Cette journée figurait parmi les 3 propositions les plus votées lors de la consultation anti-discriminations, et le Premier Ministre s’était engagé à recevoir les auteurs des 20 propositions les plus populaires. Et alors que le gouvernement a massivement investi dans des programmes d’égalité des chances, cette initiative permettrait d’ancrer dans la loi ce qui devrait être une évidence : l’accès automatique à l’information et aux droits en la matière.
Si notre demande aboutit, alors chaque année et dans chaque établissement, ce seront plus de 6 millions d’élèves du secondaire et leurs parents qui bénéficieront d’une journée pour découvrir les dispositifs d’égalité des chances existants. Une journée pour connaître leurs droits en matière d’orientation scolaire, et les possibilités qui s’ouvrent à eux en termes de formations et de métiers. Une journée pour mieux connaître les parcours dans l’enseignement supérieur et les opportunités d’accès aux financements de leurs études. Une journée enfin pour réduire l’autocensure et leur permettre de construire leur parcours sereinement.
Mais si cette demande n’aboutit pas, la France, malgré tous les efforts des enseignants et des parents sensibilisés comme des associations, continuera d’être reléguée parmi les plus mauvais pays de l’OCDE en termes d’égalité scolaire. Nos cadets continueront à subir leur orientation, à découvrir certaines grandes écoles ou formations trop tard, ou à ne pas pouvoir financer leurs études par méconnaissance des dispositifs existants. Ils et elles continueront de voir leur talent gâché, se retrouvant, alors assignés à résidence, illustrant les statistiques et faisant mentir la promesse de la République.
J’en appelle à chacun et chacune d’entre vous. Si nous sommes des milliers, jeunes actuellement concernés, parents, acteurs et associations de l’égalité des chances, anciens collégiens, lycéens et étudiants qui avons vécu les inégalités scolaires et professionnelles, à affirmer au Premier Ministre Jean Castex l’importance de cette journée, alors il s’engagera à instaurer une Journée de l’égalité des chances en France avant l’élection présidentielle, pour permettre à chaque jeune d’avoir un destin à la hauteur de ses rêves, pour que l’égalité des chances en France ne tienne plus au hasard.